hivernage ici
kalamata Péloponèse
heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage....(Joachim Du Bellay) |
Damat Ali est né à Iznik en Turquie . fils de Haci Hüseyin le grand vizir du sultan Mustafa II qui déjà a combattu les occidentaux allant même faire le siège de Vienne. Cette filiation lui a permis d’être formé à Enderun l’école du palais d’Istanbul et pendant le règne de Mustafa II, il a été désigné pour être le secrétaire personnel du sultan. En 1709, il se fiance avec la fille d’Ahmet III . Ce dernier lui donne toute sa confiance gagnant ainsi le titre Damat. Quatre ans plutard, il devient le grand vizir en lieu et place d’Ibrahim Pacha qui avait tenté de tuer le sultan. Il a mené ici ses troupes dans le fol espoir de conserver la présence turque dans l’empire l’ouest des Balkans, aux portes de la République de Venise.
Il est 14 heures et Cünjet est couvert de poussière et de poudre à canon. Sa doloma de drap bleu et son large pantalon bouffant, son tchalvar dont il était si fier sont déchirés, fendus jusqu’au-dessus de ses jéménis de cuir neuf par les esquisses des coups de lance et des sabres des cavaliers autrichiens.
Ceux-ci, par vagues successives, passés le rempart des archers ottomans ont chargé sur la garde rapprochée du vizir. L’approche est d’autant plus facile que les 30000 tatars engagés sur les bords du fleuve ont abandonné la bataille devant la puissante armée autrichienne.
Cünjet garde avec ses meilleurs janissaires, les plus aguerris au combat de corps à corps, les plus redoutables sabreurs et les plus redoutables sanguinaires entrainés par les corsaires d’Alger. Mais ces guerriers d’élite ne suffiront pas à arrêter la balle de mousquet tiré au petit bonheur la chance qui perfore mortellement la gorge du chef de l’armée ottomane. Cünjet soudain ivre de douleur n’a pu qu’assister la grande catastrophe qui vient de frapper le camp des orientaux.
Il avait fait la promesse à son vizir de veiller sur lui jusqu’à la mort, pour le protéger dans les combats meurtriers si jamais…. Et le voilà arrivé, le moment, ce moment fatal où les promesses sont mises à rude épreuve. Le voyant agonisant, c’est à peine si, le janissaire a le temps de l’abriter derrière son cheval éventré, de le prendre dans ses bras. Ne ménageant pas sa force, le yatagan rouge du sang de nombreux autrichiens, Cünjet dans une ivresse qui lui tourne la tête ne sent plus les blessures qui mordent sa chair.
Tantôt c’est sur lui que les assauts se portent, tantôt c’est sur le prince désormais à terre que la fureur des combattants se concentre. Alors il fait barrage de son corps pour l’épargner des coups des autrichiens qui s’acharnent sur sa dépouille. Damat Ali Pascha dont un flot de sang noie la bouche le regarde, du regard profond et suppliant du mourant.. En cinq minutes d’assaut furieux, autour de lui, les corps ensanglantés, mutilés des combattants, mercenaires des deux armées s’entrelacent, unissant leur sang dans la même rivière pourpre.
Cünjet est touché. Inapprochable tellement sa vaillance est grande, un cavalier de sa longue lance vient de lui porter le coup fatal. Il s’écroule alors dans un râle infini sur le corps du vizir sans vie. La nouvelle la mort de Damat Ali Pascha s’est très vite répandue sur le théâtre des opérations militaires.
Le prince Eugène de Savoie qui a personnellement conduit sa cavalerie à l’assaut du campement du Grand Vizir fait sonner par les cors autrichiens la cessation des combats.
D’un coup le champ de bataille s’apaise et l’entrechoc des armes, les fracas des coups de mousquets laissent la place aux cris des blessés et aux râles des mourants. Deniz et son escouade a fort à faire pour se débarrasser des mercenaires serbes à l’autre entrée du camp. Il a bien vu la charge sur la tente du grand vizir. Et lorsqu’il a vu à quelques dizaines de mètres, impuissant, la lance s’enfoncer dans la poitrine de son ami il n’a pu empêcher un hurlement de douleur.
Se jeter sur l’agresseur, lui trancher la gorge d’un coup de poignard ne calma pas sa rage et son désespoir. Soulevant son ami, tous deux couverts de sang, Deniz ne veut y croire. Cünjet ce jeune capitaine dont il était l’adjoint, dont il était devenu l’ami git là en cette terre ennemie. Le sang qui coule de sa poitrine l’empêche de bouger. C’est à peine si la douleur lui permet de respirer par petites saccades. Il trouve quand même la force de serrer dans sa main un bout de foulard, gage d’amour qui lui a été donné, il y a un an sur ce rivage de Laconie par cette belle jeune femme dont il s’est épris. Mais son esprit devient confus et sa vue se trouble.
Il revoit son père le prenant par la main pour traverser leur petit village, Muslu en Anatolie, accroché aux pentes de la rive de la mer Noire, il revoit le visage de Thalia tout sourire, assise sur le quai de Iéraka. Dans un dernier regain d’énergie, suspendu au bras de Deniz, le poumon perforé de part en tart il balbutie difficilement quelques mots la langue encombrée de sang :
< Deniz, va retrouver Thalia, dis lui que j’ai toujours pensé à elle… promet moi…. emmène là auprès de ma mère….. je ne peux plus…..> Cünjet est devenu immobile. La vie l’a quitté sur la rive du Danube. Lui, le marin qui ne pensait qu’à l’air frais du large, qu’à mener des combats contre des galères et autres galéasses cède sa vie en pleine campagne au service de son Vizir.
Le lendemain, alors que le corps d’Ali pascha est emmené par les 50000 turcs qui se replient sur Belgrade Deniz organise les funérailles de son ami. A l’ancienne, comme l’on fait des milliers de combattants orientaux depuis des siècles, il a fait dresser un bucher sur lequel le corps est exposé, le temps du recueillement de la cinquantaine de janissaires encore en vie, les plus proches de leur commandant sous les yeux patients et respectueux des vainqueurs à quelques centaines de là.
Deniz a conservé les armes de Cünjet, sa tunique ensanglantée, qu’il remettra à sa mère et à son père. Et puis aussi le foulard couvert de sueur qu’il donnera à Thalia dès qu’il reprendra la route.