hivernage ici
kalamata Péloponèse
heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage....(Joachim Du Bellay) |
L’occupation s’organise. Les soldats ont dressé leur campement près de la lagune, à l’entrée du village contrôlant ainsi les allers et venues de tous. Seuls les officiers environ une quinzaine de militaires et Cunjet s’hébergent chez l’habitant.
Ceux-ci acceptent de partager leurs demeures et leurs ressources mais ont-ils vraiment le choix ?
En un mois le village est redevenu ottoman et de nouveau la pratique de l’islam se fait entendre. Les soldats guère habitués aux occupations pacifiques ont du mal à contenir leur violence et pour peu que l’alcool ait coulé dans la soirée le barbare se réveille, passant des gestes déplacés à des actes coupables à l’encontre en particulier des femmes. Mais ce sont des Janissaires, des hommes qui connaissent la dureté des sanctions, des châtiments corporels jusqu’à la mort.
Cunjet est jeune mais il est janissaire depuis sa naissance en quelque sorte. Il a échappé à la loi du devchirmé aboli une trentaine d’années avant sa naissance mais par son père janissaire un capitaine, un meïdânkiahya marié à une étrangère, une chrétienne d’Anatolie il est un kuloğlu, un enfant prédestiné à venir renforcer les effectifs des puissants soldats. Pourtant on est à l’époque du déclin des janissaires, dont la puissance société vacille au profit des autres corps d’armées.
Fils d’un officier valeureux et respecté il entre à l’école militaire d’Istanbul, mais échappe aux sept années de noviciat au service du royaume. Néanmoins l’art du combat, les principes de l’ordre inconditionnel appliquées parmi les unités, l’art du commandement du jugement sans pitié forgent rapidement la rudesse de son caractère. Et il n’a pas de chance outre ses formateurs, son père veille à ce qu’il soir un bon officier acquis et dévoué à la cause du pacha.
Bon nageur, à l’heure du choix il est décidé qu’il sera marin et à 14 ans il embarque pour Alger ville où les janissaires forment les marins de la flotte ottomane. Arrivé comme kur’aci, conscrit, grâce à son intelligence et son habileté il gravit rapidement les échelons de la hiérarchie du commandement et à dix-huit ans à la tête d’une galère, de huit janissaires et de six soldats il est initié à la piraterie le long des côtes algériennes, s’emparant de plusieurs navires de commerces espagnols ou français en guise d’entrainement.
Formé, aguerri, endurci, de retour à Istanbul et appuyé sans qu’il le souhaite par son père désormais devenu retraité, un conseiller de guerre, il se retrouve affecté officier à la garde personnelle du grand vizir Silahan Damât Ali pacha . Nommé aghaci, officier supérieur à 20 ans il finit par s’ennuyer fortement dans cette garde dont en l’absence de conflit le réduit à la surveillance policière des palais.
Un jour l’Agha commandant de la garde royale, le bras droit du sultan le convoque et l’investit d’une mission hautement stratégique qui doit rester dans le plus grand secret : préparer la reconquête de la Morée. Les janissaires eux-mêmes ne doivent pas savoir, seul son adjoint partagera le lourd secret.
Cünejt devient alors le ‘moumdji’, le capitaine de cette expédition. A Izmir son supérieur Dogan le ‘mouzhir-agha’, dit l’intraitable ne lui a pas laissé d’initiative : « prend place sur la côte et tient bon » Cünejt signifie ‘ petit soldat’ raison de plus pour envoyer en avant garde ce jeune ambitieux se frotter aux galères et tester la résistance vénitienne.
Cunjet prépare sa campagne, passe des journées à la grande bibliothèque du Palais, étudie l’histoire des guerres de Morée, de Monemvasia. Il consulte et copie les cartes marines, étudie les récits des capitaines qui ont navigué jusqu’aux côtes grecques choisit ses hommes dans les différentes écoles de Janissaires d’Istanbul, choisit également les marins aguerris pour manœuvrer les navires.
AHMET III le sultan qui règne sur l’empire turque depuis 11 ans de manière molle, subit l’influence du grand vizir Silahan qui ne supporte pas l’hégémonie des vénitiens sur les Balkans et en particulier sur les nations grecques, territoires perdus lors de la dernière guerre de Morée en 1699. Telle est la situation dans cette partie de l’Orient en début de ce siècle.
Cunjet a pris comme second son fidèle ami, un kur’aci, Deniz. Confident et aussi bras droit efficace, un peu plus âgé que son supérieur et ami, il fait régner durement l’ordre parmi les troupes usant même de la terreur comme le veut la tradition dans ce corps d’armée séculaire.
Et dans les mois et l’hiver qui suitvent tous deux vont multiplier les contacts avec les vénitiens, donner le change, organiser le commerce de ce pseudo comptoir maritime, et chaque fois que le temps le permet un navire chargé de malvoisie, le vin local si gouteux appareille pour les côtes turques, ramenant dans ses flancs soieries et tentures mais aussi à fond de cale quantités d’armes, sabres et tirpans à la longue lame incurvée et des zabtanahs, sorte de mousquets qui désormais font partie des armes individuelles.
Les autorités locales vénitiennes à Monemvasia n’y voient que du feu, trop occupées à couler des jours heureux et lorsqu’ils se rendent à Iéraka c’est pour être reçus avec tous les égards et troublés, charmés par le festin qu’il leur est servi ils restent aveugles à l’activité militaire qui disparait pour l’occasion derrière les filets et les casiers des pêcheurs et dans les fermes réquisitionnées.
Mais les soirs, loin de leurs regards, les janissaires qui ont finalement gagné la confiance des villageois, emplissent désormais pacifiquement les deux tavernes de leurs rires et leurs chansons et lorsque le raki coule à flot, que la soirée tend à la beuverie, comme presque tous les soirs,d'ailleurs, Cunjet et Deniz, s’interposent avec force pour protéger les villageois et surtout les villageoises calmant avec rigueur les ardeurs des soldats.
Et c’est dans une de ces soirées que Cunjet fait la connaissance d’une belle hellène, Thalia chahutée par deux spahis un peu ivres. Quelque chose vient de se passer là