hivernage ici
kalamata Péloponèse
heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage....(Joachim Du Bellay) |
CUNJET le janissaire
L'arrivée à Iérakas
Le village de pêcheurs de Ierakas semble endormi sous le chaud soleil en ce quatorzième jour du mois de juin 1714. Il est 16 heures et la petite flottille de 5 navires ottomans en termine avec son long parcours depuis Cesme.
La falaise grise, haute d’une centaine de mètres se dresse devant l’étrave de la petite frégate armée de 16 canons que commande Cünejt. A quelques encablures les 2 polacres et les 2 galiotes suivent lentement si chargées qu’elles ont du mal à suivre. Au total presque 350 janissaires et matelots n’en finissent plus de cette longue traversée longue de 78 lieues marines.
Ce fut d’abord la traversée de la mer Egée. Poussés, secoués par un meltemi généreux les lourds vaisseaux se regroupent sous le temple de Poséidon, au cap Colona certains ayant presque deux jours de retard sur la rapide frégate de Cünejt. Le vent ayant perdu de sa force, les navires reprennent leur lente progression à la rame en prenant soin de ne pas se faire repérer par les redoutables navires d’Hydra et de Septsai, Cünejt longe la côte de la Laconie depuis maintenant 5 heures. Un vent faible qui oblige les marins dans une chaleur écrasante, à ramer pour entrainer la flottille qui constitue ce corps expéditionnaire ottoman..
Le grand vizir Damad-Ali Pacha projette de reconquérir la Morée abandonnée à la République de Venise depuis maintenant 14 ans. Aussi commence-t-il à concentrer des troupes pour une grande attaque prévue pour l’année suivante. Sachant les vénitiens peu nombreux, leur flotte concentrée en mer Ionienne il n’hésite pas à dépêcher des bataillons expéditionnaires prendre pied sur le sol Moréen.
C’est ainsi que notre janissaire doit prendre et installer un avant-poste non loin de la ville forteresse de Monemvasia qui commande et défend la côte Est de la Morée. Cünejt est ‘ moumdji’, le capitaine de cette expédition. A Izmir son supérieur Dogan le ‘mouzhir-agha’, dit l’intraitable, ne lui a pas laissé d’autre choix: « prend place sur la côte et tient bon ».
Le commandement militaire ne laisse pas de place à la discussion et aux initiatives, c’est ainsi. Cünejt signifie ‘petit soldat’ raison de plus pour envoyer en avant-garde ce jeune ambitieux se frotter à l’occupant et tester la résistance vénitienne. Après avoir été la terreur de l'ennemi du dehors, après avoir conduit l'empire ottoman à l'apogée de sa puissance, les Janissaires depuis quelques décennies ont perdu de leur magnificence.
Devenus une non-valeur militaire et la pierre d'achoppement de toutes les réformes, ils finiront par être la terreur des sultans eux-mêmes et une perpétuelle menace de ruine pour le pays. Ils constituent néanmoins un corps d'élite utilisé en chaque occasion. Ils inspirent la terreur à seule vue de leur tirpan, longue lame incurvée et des zabtanahs, sorte de mousquets qui désormais font partie de leurs armes individuelles.
Cünejt qui ne connaît pas cette contrée lointaine jadis province byzantine pendant plus de deux siècles a pris le temps avant de partir de consulter à la bibliothèque d’Izmir les écrits récents sur la Morée sur la dernière occupation ottomane, presque de 150 ans et qui prit fin en 1690. Il comprend ainsi tout l’intérêt de son pays pour la possession de cette province et la forteresse de Monemvasia, la place forte qui contrôle les navigations venues de l’occident vers la Turquie.
Alors il éprouva soudainement un désir de vengeance contre ces occidentaux, il adhérait ainsi à la volonté de son souverain, allant presque à faire de cette idéologie une affaire personnelle: chasser les vénitiens de ce pays loin de leurs frontières, montrer que l’Orient ne laisse pas son sol aux envahisseurs de l’Occident.
Certes il savait que depuis quatre siècles ce combat pour la possession de la terre héllénique dépassait le cadre de la conquête géographique, que les valeurs religieuses des deux camps par l’intermédiaire des armes s’affrontaient. (à suivre l'invasion…)