hivernage ici
kalamata Péloponèse
heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage....(Joachim Du Bellay) |
1714, le village de pêcheurs de Gerakas
semble endormi sous le chaud soleil en ce mois de juillet.
Il est 16 heures et la petite flottille de 6 navires ottomans en termine avec son long parcours depuis Izmir
Cünejt longe la côte de la Laconie depuis maintenant 2 heures poussé par un vent faible qui oblige les marins dans une chaleur éécrasante, à ramer pour entrainer les lourds vaisseaux qui constituent ce corps expéditionnaire ottoman. Cünejt vient d’avoir 27 ans. Il est janissaire au service du grand vizir Damad-Ali Pacha qui projette de reconquérir la Morée (péloponnèse) abandonnée à la République de Venise depuis maintenant 16 ans. Et celui-ci commence à concentrer des troupes pour une grande attaque prévue pour l’année suivante. C’est ainsi que notre guerrier doit prendre pied non loin de la forteresse de Monemvasia qui commande et défend la côte Est de la Morée.
Cünejt est le ‘ moumdji’, le capitaine de cette expédition. A Izmir son supérieur Dogan le ‘mouzhir-agha’, dit l’intraitable ne lui a pas laissé d’initiative : « prend place sur la côte et tient bon » Cünejt signifie ‘ petit soldat’ raison de plus pour envoyer en avant garde ce jeune ambitieux se frotter aux galères et tester la résistance vénitienne
les Janissaires , après avoir été la terreur de l'ennemi du dehors et avoir conduit l'empire ottoman à l'apogée de sa puissance, constituent un corps d'élite, devenu une non-valeur militaire et la pierre d'achoppement de toutes les réformes, qui finit par être la terreur des sultans eux-mêmes et une perpétuelle menace de ruine pour le pays. La discipline est telle qu’il n’est pas question de s’opposer voir remettre en question les ordres donnés, c’est de suite la peine de mort dans des souffrances inimaginables.
La falaise grise, haute d’une centaine de mètres se dresse devant l’étrave de la petite frégate armée de 16 canons que commande Cünejt. A quelques encablures les 3 polacres et les 2 galiotes suivent lentement tellement elles sont chargées. Au total presque 350 janissaires et matelots n’en finissent plus de cette longue traversée longue de 78 lieues marines ( 234 milles de nos jours) Ce fut d’abord la traversée de la mer Egée. Poussés, secoués par un meltemi généreux les lourds vaisseaux se regroupent sous le temple de Poséidon, au cap Colona (Sounion) certains ayant presque deux jours de retard sur la rapide frégate de Cünejt.
Le vent ayant perdu de sa force, les navires reprennent leur lente progression à la rame. Après une courte escale sur l’île d’Hydra ils arriveront devant les côtes de la Morée.
Cünejt ne connait pas cette contrée lointaine jadis province byzantine pendant plus de 2 siècles. Les écrits récents qu’il a pu consulter à Izmir, la grossière carte marine qu’il possède et quelques espions lui ont parlé d’une rivière qui sort des falaises abruptes où il pourra trouver hâvre pour ses hommes.
C’est donc avec une navigation à vue, au risque d’échouage qu’il engage ses navires, à l’aviron dans la passe de Gérakas. Heureusement la houle de nord est s’est apaisée mais qu’en est-il des fonds ? quel sera l’accueil des habitants ? La courbe serrée qu’il faut prendre dans la falaise n’est visible qu’a une centaine de brasses. Derrière se cache le village de pêcheurs et la lagune qui s’étale à une demie lieue à l’intérieur. Tout est calme. Les villageois habitués aux visites des pirates et autres barbares se sont calfeutrés dans les maisons ou ont fui dans les terres à l’annonce par les guetteurs de cette flotte ottomane.
Les Vénitiens maîtres de la région depuis plus de 15 ans se contentent d’une occupation de Monemvasia et de son rocher laissant la campagne aux autochtones. Seuls quelques patrouilles militaires et les collecteurs de dîme sillonnent épisodiquement le pays. Ainsi entretiennent-ils avec les populations une relation commerciale plus que raisonnable.
Les revoilà se disent les plus vieux des Laconiens qui se souviennent encore de l’occupation turque. D’ailleurs tous sont nés sous le joug Ottoman. Certains, ceux dont les ancêtres ont prospéré ou croiser les sangs familiaux avec l’occupant oriental pendant 250 ans ne cachent pas leur satisfaction de les voir revenir.
Les navires jettent leurs ancres à jas dans le lit de la rivière et sans tarder les chaloupes débarquent des dizaines de janissaires, effrayants dans leur tenue de combat. Mais Cünejt calme les ardeurs de ses soldats fatigués par tant de jours d’inactivité et de mal de mer. Il souhaite dès à présent établir un camp depuis lequel soit par la mer soit par la terre il testera la résistance des vénitiens avant la reconquête du pays tant attendue par son sultan. Alors les Turcs s’installent, occupant les maisons, obligeant les paysans et les pêcheurs à une cohabitation forcée mais ménageant la population qui doit lui apporter la logistique dont il a besoin.
Même si la rivière est fortement protégée des coups de mer par les hautes roches, les vaisseaux prennent de nouveaux postes plus à l’abri dans la lagune sondée par les matelots, car la rivière est si étroite que les polacres avec leurs mats de misaine penchés à l’oblique vers la proue risquent à chaque souffle de se heurter.
Pendant près d’un an, Cünejt lance ses janissaires vers le fameux rocher à 15 lieues de là à travers les vignobles de Malvasia. Les escarmouches sont nombreuses et parfois très meurtrières Par la mer les expéditions ne se lancent que par temps calme. En effet le vent de nord-est lève une houle qui ramène les navires vers les falaises. Dans leurs chaloupes les marins s’échinent à tirer vers le large les navires de guerre afin de les écarter des récifs. Dans quelques mois, au printemps l’armada du grand vizir Damad Ali Pasha forte de 58 vaisseaux, 16 frégates, tartanes, galiotes et 30 galères s’opposera victorieusement à l’escadre vénitienne forte de 19 navires et 15 galères. Il lancera ensuite 100000 hommes dans une guerre éclair de reconquête de la Morée (Péloponnèse)
Cünejt devenu ‘ tchorbadji’, grade analogue à celui de colonel accompagnera Damad Ali Pasha dans une nouvelle guerre contre les Autrichiens. Il périt au côté de son vizir devant Peterwardein (5 août 1716)