Tyrannie en mer
A l’heure où les têtes des tyrans tombent les unes derrière les autres, un des derniers lieux de l’exercice du pouvoir totalitaire extrême reste la mer.
Combien de capitaines trônent à la barre de leur navire, fiers et droits dans leurs mocassins décatlon, se transforment-ils en tyran vis-à-vis du seul sujet de leur royaume, je veux parler de leur épouse. Je n’ai pas dit compagne car celles-là se tirent illico et même pas car ces braves messieurs ont trop peur de se retrouver tout seul…
Je n’écrirai pas de précis de psychologie pour expliquer ce comportement outrageant envers la femme de leur vie mais simplement narrer le récit d’une histoire vraie, toute fraiche vécue.
Nous sommes dans le port d’une île très fréquentée au sud d’Athènes, amarrés comme il se doit au quai et à l’ancre.
Le port se remplit vite en cette fin d’après midi, les bateaux venant à l’abri pour la nuit.
Un bateau assez vieux, d’une marque célèbre qui a fait sa renommée sur le slogan un bateau pour deux dans le confort et sans efforts, se présente. Monsieur trône sur son siège, devant la barre sous la capote en dur, comme Louis XIV en son temps. Son seul sujet, sa femme, est au guindeau prête à jeter l’ancre au signal du monarque. Hélas, le grain de sable, l’annexe se prend dans la chaine et freine sa descente. Le roi invective alors sa douce moitié.
Dans un premier temps tous les spectateurs prennent ces vociférations pour la conséquence de l’éloignement entre la proue et le poste de pilotage, c’est vrai sur un voilier, il faut à chaque fois parler fort pour se faire entendre et couvrir le bruit de la chaine qui égrène ses maillons sur le barbotin du guindeau. Mais tout le monde a vite compris que l’ire du seigneur fustigeait la douce qui de plus en plus paniquée se statufiait sur le passavant.
Evidement coup de volant à droite, coup de volant à gauche, marche avant, marche arrière, en travers dans le port, le despote laboure le champ, couchant sa chaine sur plusieurs mouillages déjà en place. Dans les cris, et les hurlements le cruel recule à quai, invective à nouveau sa soumise parce qu’elle ne fait pas assez vite pour revenir vers l’arrière poser un pare battage, ce qu’il aurait pu faire de son trône sans même lever ses nobles fesses.
Difficile de traduire le torrent de réprimandes et de brimades verbales que cette pauvre femme vient de subir. Certainement monsieur s’est senti vexé d’avoir piteusement raté sa manœuvre devant les plaisanciers déjà à terre ! Alors il faut trouver le coupable et le punir en place de grève !!! Il ira même par la bousculer manu militari cet adjudant de pacotille.
Je suis occupé dans le cockpit de FORAIN DES MERS à faire du matelotage. Le Ben Hur descendu de son char s’adresse à moi sans me regarder, dans le genre « dites-moi mon brave, comment fait on pour l’eau ? » J’ai bien eu envie de lui répondre par une célèbre phrase d’un autre monarque de notre temps du genre « casses toi pôve con », j’ai préféré le traiter avec mépris lui indiquant d’un geste vague la direction de l’office du port.
Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes ont encore beaucoup de travail. Qu’ils soient pauvres ou riches, jeunes ou vieux, les tigres de papier sont légion et sévicent sans relâche sur le dos des femmes, sans doute pour compenser quelque sentiment oedipien mal extrudé.